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— J’ai bien besoin de vous, cher monsieur Kersten, dit Himmler.
Kersten demanda machinalement :
— Vous avez mal ?
— Non, mais je me sens surmené, nous avons travaillé depuis ce matin à un projet très important, très urgent.
Le Reichsführer ôta sa vareuse, sa chemise, s’étendit sur le divan. Kersten s’assit près de lui. Tout se déroulait comme à l’accoutumée, et, pourtant, tout semblait irréel, impossible.
Car ce projet qui avait provoqué la fatigue dont Kersten allait soulager Himmler, ce projet (Heydrich ne sortait-il pas de la conférence ? Rauter n’avait-il pas été convoqué pour cela à Berlin ?) devait être celui-là, précisément, qui allait atteindre le peuple de Hollande. Mais que pouvait l’aire Kersten et même que pouvait-il dire ? Il avait surpris un secret d’État. Il n’avait pas le droit d’y faire allusion.
Les mains du docteur, d’elles-mêmes et sans qu’il eût vraiment part à leur mouvement, suivaient un tracé connu, pétrissaient, modelaient sous la peau les faisceaux nerveux. Himmler tantôt poussait un petit cri, tantôt soupirait d’aise. Tout était dans l’ordre quotidien.
Il y eut cependant un défaut dans le mécanisme. Dans les intervalles du traitement, Kersten, attentif et disert d’habitude, écoutait mal, ne parlait pas.
— Vous êtes aujourd’hui bien rêveur, lui dit enfin Himmler avec amitié. La faute en est à votre courrier de Hollande, je parie. Brandt m’assure que ces belles dames vous écrivent souvent. Les dames, ah, les dames !
Himmler donna une légère tape à Kersten sur l’épaule, d’homme à homme, de mâle à mâle, de complice à complice.
— Cela ne vous a pas empêché, reprit-il, de me soigner à merveille. Je vais travailler comme un dieu. À demain…